La fin de la journée approchait à grand pas. Evy scrutait le ciel par une des fenêtres abîmées du centre de soins.
Au fil des jours ils avaient tous réussi à en faire un endroit correct mais malheureusement les fenêtres cassées restaient irréparables pour l'instant. Certaines avaient étaient calfeutrées ingénieusement avec des bouts de plastiques, laissant entrer la lumière mais pas les bestioles volantes.
Evy remit délicatement une de ses mèches de cheveux en place, rêvassant sur une bouteille de shampoing et une poignée d'élastiques. Elle poussa un petit soupir dépitée avant de retourner dans la salle de « consultation ». Une jeune femme gamma l'y attendait pour lui montrer une blessure recousue dix jours plus tôt. Ce n'était pas elle qui s'en était occupé mais pour le suivi, tout le monde s'y mettait. Elle examina la blessure, la jugea belle et expliqua à la jeune femme que tout allait très bien, qu'elle pouvait retourner vaquer à ses occupations sans se préoccuper d'une possibilité d'infection.
Ainsi donc se terminait son service ici, se dit-elle. Et, sur le point de faire demi-tour et de rentrer, elle tomba nez à nez avec Ezrah.

« Ezrah.... » dit-elle, les yeux plissés, un air suspicieux sur le visage.

Elle ne tarda pas à trouver la raison de sa venue. Elle attrapa son bras sans cérémonie et le fit s'asseoir sur une table d'examen. Une fois qu'il eut décollé sa main de la plaie, elle pu admirer le travail. Le sang coulait encore, il colora ses doigts tandis qu'elle évaluait la gravité de l'incident.
Rien de très impressionnant, mais ça nécessiterait quelques strips et un bon nettoyage.

« Comment t'as fait ton compte encore ? »

Elle releva la tête et posa son poing sur sa hanche, affichant la mine blasée de ses bons jours.

Elle leva les yeux au ciel, plusieurs fois. Ezrah était un drôle d'énergumène qui ne manquait pas de la faire soupirer, mais au fond, elle l'aimait bien. À sa façon. Il était là depuis longtemps lui aussi et elle avait une certaine admiration pour son abnégation à être toujours plus imprudent dans un monde hostile.
Elle poussa un petit soupir et tapota sa joue.

«  Je croyais qu'il te restais encore au moins une semaine de repos avant de pouvoir re-forcer sur ta cheville ? D'ailleurs... Où se trouve la béquille ? »

Elle lui lança un nouveau regard, presque glaçant avec ses pupilles si claires. Et tandis qu'il continuait à dire des inepties, Evy se mit en quête du nécessaire pour nettoyer et désinfecter la plaie. Il ne restait pas tant de produits utilisables, le stock diminuait petit à petit mais il y en aurait encore pour quelque temps.
D'ici là, peut-être que des plantes s’avéreraient être utilisables pour désinfecter.
Elle revint à son patient une ou deux minutes plus tard et entreprit de nettoyer la plaie.

« Attention ça va piquer. » dit-elle avec un peu de malice bien après avoir versé le produit désinfectant. « Pourquoi est-ce que tu te précipites toujours chez moi quand tu te fais mal ? »

Elle finit de nettoyer tranquillement plaie, manquant évidemment d'un brin de délicatesse.
Pas que soigner les autres ne lui apportait pas un peu de satisfaction personnelle et de reconnaissance, mais à vrai dire, il y avait ici des gens bien plus doux, bien plus qualifiée qu'elle pour ce genre de choses.

Une fois désinfectée et nettoyée, elle put admirer la plaie nette et propre provoquée par une lame trop bien aiguisée pour un simple entraînement. Elle soupçonna un instant ses partenaires de jeu de l'avoir fait sciemment.
Ezrah pouvait être particulièrement agaçant mais si ce qu'elle soupçonnait était la réalité – et non le résultat de son esprit pessimiste- il allait falloir mettre les choses au point avec les petits « plaisantins ».

Sa main parcourut l'étagère cabossée derrière elle, elle y trouva une boîte de compresses, malheureusement vide. Et une boite de strips, pas bien remplie mais au moins il en restait assez pour refermer la plaie.

« Confiance. Oui, bien sur... Ou peut-être que c'est la torture qui te plaît. » Elle esquissa un sourire et revint s'occuper de sa plaie.

Un à un elle posa les petites bandelettes collantes et stériles sur les bords de la plaie pour la refermer. Balaya une mèche de cheveux rebelles en soufflant dessus.

« Je ne peux pas suturer, c'est à la fois trop profond et trop fin. Et tu bouges tellement que tu risquerais de faire sauter les points. » Elle finit son travail et inspecta une dernière fois la blessure. «  Tu vas devoir faire attention à ta main. Tu m'entends ? Att-en-tion. »

Elle insista sur les syllabes comme si elle avait été face à un enfant. Certain l'aurait certainement mal vécu.

« Parce que ça peut se rouvrir, et pisser le sang une nouvelle fois. Et tu risquerais l'infection. Est-ce que c'est clair ? »

Si il le faut elle se répéterait, encore et encore, pour qu'enfin il imprime dans sa petite tête cabossée qu'il ne fallait pas prendre les blessures - même minimes - à la légère.

Evy ne rit pas beaucoup, elle ne riait pas beaucoup avant non plus. Même quand le monde tournait « rond » et qu'elle était juste une simple étudiante parmi d'autres étudiants, elle ne riait que très peu. Dire qu'elle avait toujours été très pudique en ce qui concernait sentiments et émotions aurait été en deçà de la vérité.
Alors chacun de ses sourires pouvaient être considérés comme une expression importante.

Ezrah fit un salut militaire ridicule, Evy leva les yeux au ciel, pour certainement la trentième fois aujourd'hui. Ce qu'il dit ensuite lui sembla ne fit que la plonger un peu plus dans un profond désespoir. Il était définitivement perdu pour l'humanité.

Mais il était aussi très divertissant, et au beau milieu de son paysage gris, Ezrah faisait partie des tâches de couleurs. Elle fit un demi-sourire avant de pousser un soupir exaspéré.

« Si tu as fini de dire des bêtises tu peux descendre de la table. » Elle fit un geste en direction de la porte, l'invitant gentiment à s'en aller. « J'aimerais rentrer me reposer aussi maintenant. Alors si tu ne comptes pas te faire mal entre ici et la porte, dehors. »

Son ton était toujours égal, sa voix claire et ses yeux toujours plantés dans ce de son interlocuteur.
Du repos, elle en avait bien besoin. Les cernes qui s'étiraient sous se yeux faisait peur à voir.

N'importe qui d'un peu doué en relation humaine aurait pu prédire qu'Ezrah proposerait de l'accompagner. Le syndrome du chevalier servant.
Mais pas Evy, non. Non elle ne vit rien venir, comme d'habitude et elle trouva la proposition des plus étrange d'ailleurs. D'un naturel méfiant et peu encline à louer de bonne intentions à Ezrah d'ordinaire – pas qu'il soit vicelard mais il fallait avouer que ce n'était pas le gars le plus fiable du coin -, elle le scruta un certain temps avant de se débarrasser de ce qui lui servait de blouse.

« Soit. Tu n'es pas gentil, mais je te laisse m'accompagner. »

Et elle passa devant tranquillement. Ils ne leur fallut que quelques minutes avant de sortir du centre de recherches et de se retrouver au milieu du campement.

« Il faudra que tu surveilles. »

Et elle continua d'avancer tranquillement, se frottant les yeux de temps à autre, comme pour essuyer la fatigue qui l'accablait.
Ils ne croisèrent pas grand monde sur le chemin, juste quelques gammas qui étaient encore à l'oeuvre du côté des habitations.

Je surveille toujours. Evy faillit laisser l'empreinte de son pied sur les fesses d'Ezrah. Quel idiot vraiment. De toutes les personnes qu'elle avait eu à soigner ici depuis le début de cette « aventure »... Il était certainement le pire en matière de suivi médical. Tête en l'air comme pas deux et insouciant comme un gamin de huit ans.
Ce qui avait le don d'énerver la jeune femme autant que de l'inquiéter.
Chaque fois qu'elle soignait quelqu'un, l'ombre du décès de Will planait au dessus de sa tête. Et elle avait beau essayer de se raisonner et de continuer comme si de rien n'était, elle finissait toujours par être contrariée.

La précarité des installations ne laissaient pas beaucoup de marge en terme de soins et, à vrai dire, ses propres compétences avaient des limites vite atteintes lorsqu'il s'agissait des êtres humains.

Ils ne leur fallut que quelques minutes encore pour atteindre la cabane qui servait de maison à Evy. Elle ne la partageait plus avec personne depuis quelques jours, ses multiples colocataires ayant toutes foutue le camp à cause de ses... problèmes de sommeil.

« Hein ? » Elle lui lança un regard étonné. « Qu'est-ce que c'est que cette question ?... »

Evy retenait toutes informations la concernant comme un barrage retiendrait de l'eau. Pas franchement agréable pour tenir une conversation. Mais c'était dans sa nature, elle n'y pouvait pas grand chose.

« Et toi, tu dors assez ? »

La question était posée sans réelle attente d'une réponse ; ça n'était qu'un moyen de plus de détourner l'attention. Et peut-être aussi de pointer du doigt la relativité du "dormir assez" dans les conditions de vie qu'ils avaient.

Si elle avait déclenché une réaction chez lui, elle fit mine de ne pas s'en rendre compte. Tout ce qui l'intéressait en cet instant, c'était de finir cette discussion qui la mettait beaucoup plus mal à l'aise que n'importe qui l'aurait été. Mais Ezrah ne semblait pas décider à s'en aller tout de suite.
Et elle ne savait jamais quoi faire face à de la sollicitude. Pourvu qu'il n'ait pas d'autres questions du même acabit, elle serait obligée de devenir désagréable.

Mais il finit par se résigner à ne pas obtenir de réponse et Evy poussa un petit soupir de soulagement. Parler de son sommeil quasi inexistant, c'était se mettre face à face avec des conflits intérieurs qu'elle n'avait pas la force de régler pour l'instant.

« Je suis grande Ezrah, je sais m'occup- » Elle stoppa net sa phrase, avant de dire un mensonge et poussa un nouveau petit soupir, le regard au sol.
Evy releva finalement les yeux et laissa entrevoir un demi-sourire. Elle fit un effort, hocha la tête et dit « Merci. »

Merci de te soucier des autres, Ezrah. Merci de te soucier de moi, il faut des gens comme toi pour le monde continue à tourner rond. Trop dégoulinant hein ?
Mais, évidemment, elle s'arrêta au merci poli. Le silence qui suivit est gênant, certainement plus que ce qu'elle croyait. Elle finit par déposer ses affaires sur le petit banc fait de morceaux de bois qui se trouvait à l'entrée de la cabane.

« Ne crois pas que je te chasse mais... Tu devrais rentrer chez toi Ez, et te reposer. Et tu reviendras demain soir au centre de soins pour changer une première fois tes strips. »

Que dire d'autre ? Elle n'avait de mieux à dire...