C’était d’abord un long couloir. Trop long en fait pour que son esprit, encore embrumé par une soirée alcoolisée, ne puisse faire le compte exact de ses pas. En tout cas, l’établissement lui semblait immense et il n’avait aucun souvenir d’où il pouvait bien se trouver. Sûrement un lieu qu’il n’avait jamais visité et qu’une personne lui avait conseillé. Sous l’alcool, il devait avoir cru que ceci était une bonne idée. Et voilà que, rasant les murs d’une main, il marchait lentement vers cette lumière lointaine.

En fait, à bien y penser, c’était exactement que certains décrivaient lorsqu’ils étaient sur le point de mourir. Était-il justement en train de crever ? Damn. Peut-être qu’il ne se trouvait pas dans le lit de CryoLab mais que, sous l’alcool, il s’était fait renverser. Dur réveil que celui-là ! Peut-être avait-il seulement entendu les infirmiers et infirmières lui parler depuis la réalité. Sale bad trip qu’il vivait là ! En proie à quelques existentielles, Edward se demanda s’il ne devait pas faire demi-tour et se remettre dans ce qui s’appelait le « cryopod ».

S’arrêtant dans le couloir, regardant l’obscurité qu’il avait derrière, il posa son dos contre la paroi avant de se laisser glisser. Honnêtement, après cette cuite, il ne toucherait plus à l’alcool durant une bonne année, le temps d’oublier toute cette mauvaise histoire. Qui l’avait bien invité à boire autant ? Cette CryoLab savait ce qu’elle faisait. Se frottant encore le visage, soupirant, il se releva difficilement, sentant tous ses muscles reprendre de plus en plus le contrôle de son corps. Prenant sa veste dans sa main libre, il finit par se décider à reprendre son chemin vers le seul point lumineux de ce maudit couloir.

C’était une nouvelle salle. Plus grande. Plus éclairée. Comme un vestibule avant la sortie (ou l’entrée, tout dépendait comment on désirait le voir en fait). Là, pour la première fois, il n’était plus seul. Une jeune femme était en réalité étalée à terre. En s’approchant, il put s’apercevoir qu’elle n’était pas blessée mais seulement inconsciente. Serrant les dents pour se baisser vers elle, il reprit ses vieilles habitudes, des gestes qu’il avait des centaines de fois. Une main au niveau de la gorge, vérifiant le pouls, une autre au niveau du poignet. Elle n’était pas morte d’un quelconque abus. C’était déjà un bon début. Elle n’était pas morte. Ou ils étaient tous les deux bien morts.

En ayant déjà assez d’être le seul éveillé de la pièce, Edward tapota doucement la joue de la jeune femme pour tenter de la réveiller en douceur. Quelle idée de s’endormir là, aussi. Cette CryoLab semblait avoir une clientèle hétéroclite. Elle ne faisait donc pas que dans les hommes. Une femme bien étrange. Ou alors, elle se trouvait devant lui. Du coup … Comment avait-il fait pour choper cette donzelle et se retrouver dans son lit ? Ou il avait tenu une sacrée discussion philosophique sous l’effet d’un alcool puissant. Ou … Il n’y avait aucune autre possibilité.

S’adossant contre le mur à côté de la jeune femme inconsciente, il patienta le temps qu’elle s’éveille vraiment et, finalement, de lâcher une phrase savante : « Je suis où, CryoLab ? ». Parfois, Edward dépassait toutes les attentes. Parfois, il savait se montrer tout à fait particulier.

Donc, la jeune demoiselle faisait elle aussi partie de la clientèle hétéroclite de CryoLab. Cette femme s’intéressait vraiment à chaque genre. Et la jeune femme qui se trouvait devant lui était de l’autre port. « Dommage. », s’était déjà dit Edward. Mais il n’était pas se chercher une nouvelle partenaire. Ou alors, elle faisait aussi partie de l’accident qui l’avait conduit à mourir. Chaud ! Sale accident. Était-ce de sa faute s’il était mort ? Elle semblait avoir aussi un verre dans nez, il n’aurait pas été étonnant qu’elle reprenne le volant et qu’elle cause un accident.

Se frottant l’arrière de la tête, avec un sourire pincé au visage, il fit de la négative pour répondre à la question posée. « Non, je ne suis pas d’ici. » Il avait tenté un vague sourire, pour se montrer rassurant. En réalité, plus les minutes s’écoulaient, plus il s’inquiétait. Il n’en était pas au point de paniquer et d’en faire une crise d’angoisse – il avait d’ailleurs l’habitude de gérer des situations devenues compliquées, mais il n’était pas à l’aise. D’autant qu’il n’avait plus entendu les infirmières l’appeler. Soit il était définitivement mort. Soit il allait crever d’ici quelques minutes. Restait toujours la possibilité d’une sale cuite la nuit dernière pour se retrouver dans les bras séducteurs de CryoLab.

_ Vous étiez inconsciente, en fait. » Il était nul pour faire la conversation. Il détestait ça en réalité mais, pour son esprit embrumé, cela l’aidait quasiment à retrouver la mémoire de sa dernière nuit. Puis il tendit sa main droite, ouverte, avec toujours ce sourire qui tentait de rassurer : « Je suis Edward. Je viens de me réveiller. » En même temps, de la tête, il indiquait le couloir d’où il venait. « Vous faites aussi partie de la clientèle de cette CryoLab, ainsi ? »

Qu’avait-il fait pour ainsi perdre la mémoire ? Était-ce le traumatisme de sa propre mort qui l’empêchait de tout se rappeler ? Mais il se souvenait encore de qui il était, de ce qu’il faisait encore la veille. Il se souvenait de son âge, de sa mère. Qu’avait-il donc oublié qui le dérangeait tant ? Avait-il été drogué d’une nouvelle substance l’empêchant de se souvenir pour mieux être violé ? Avait-il était aussi négligeant ?

_ Dites. Quand vous vous sentirez prête, on sort vers la lumière ? Je ne sais pas où j’ai atterri et je n’ai pas envie de le découvrir tout seul. » Il tente de rigoler, tout en restant assis. Aussi se tient-il une côte qui lui fait encore mal. C’était rare, mais il ressentait chacun de ses os. « Puis, honnêtement, vous devez avoir aussi sale gueule que moi en ce moment. »

Bon. Il semblerait qu’elle n’aimait guère sa compagnie. Ou, en tout cas, avait-elle mal pris la dernière réflexion qu’il avait faite. Encore une remarque intelligente de sa part. Tout ceci l’avait mis dans une situation bien embarrassante. Non seulement elle s’était quasiment froide, cassante, mais elle n’avait pas pris la peine de lui donner son nom. Autant dire que sa bonne intention n’avait pas suffi. Peut-être était-elle plus méfiante qu’il ne l’était. En tout cas, il semblerait que les gens du coin étaient peu commodes.

Hochant de la tête lorsqu’elle lui proposa finalement de se diriger vers la lumière, il se releva, sentant toujours autant ses os et ses muscles s’éveiller d’une nuit vraiment difficile. Nulle voix. Nulle instruction. Que c’était étrange. Était-il mort ? S’éveillait-il d’une cuite ? Que se passait-il ? Et, au final, qui était-elle ? Un instant, alors qu’elle se mettait en marche, il s’était arrêté, réfléchissant. Peut-être un piège ou une évaluation ? Soit. Il détestait autant penser. Son instinct ne lui mentait pas. Elle était inoffensive. Aussi, en deux enjambées, il rejoignit la jeune femme et se plaça à sa hauteur, posant directement les deux mains dans les poches de son jeans.

Il avait fermé sa gueule jusqu’à maintenant. Sûrement avait-il dit quelque chose qui l’avait froissée. Au final, elle était une femme. Il suffisait de dire « Prout » pour se les mettre à dos. Toujours aussi compliquée. Même les lesbiennes ne réfléchissaient pas plus comme des hommes. Dommage. Peut-être aurait-il mieux fait de la laisser inconsciente car, soudainement, il avait l’impression d’être plus mal accompagné que lorsqu’il était seul. Se gardant pourtant de tout commentaire qui aurait conduit la jeune femme à un quelconque éclat, il se contenta de poser un bras devant son regard.

Aveuglé les premiers instants, tentant vaguement de discerner quelques formes familières, il se laissa le temps de découvrir le lieu. Inconnu. Rien ne lui évoquait quoi que ce soit. Où diable était-il ? Était-ce donc cela le Paradis ? Dieu que sa Mère allait être déçue. Et si tout cela était la réalité, comment s’était-il retrouvé ici ? Des questions continuaient de tourner dans sa tête. Aucune réponse. Que de questions. Comment cela était possible ? Le doute le prenant à la gorge, il posa son autre bras contre l’enceinte, tentant de trouver un équilibre qu’il sentait disparaître.

_ Merde, qu’est-ce que c’est que ce putain de bordel ? … »

Rien. Il ne reconnaissait absolument rien. Evidemment, il ne connaissait CryoLab. Il n’avait jamais vu une seule enseigne à ce nom, n’en connaissait absolument pas l’existence mais il s’était rattaché à l’idée qu’il n’était pas loin de chez lui. Ici, il ne reconnaissait rien. Où était-il, bon sang ? Et pourquoi il ne reconnaissait personne ? Était-ce vraiment le Paradis ? Merde. Une profonde respiration. Fermant les yeux, pensant à la montagne, il sentit une main se poser sur son bras.

C’était la jeune femme. Il ne connaissait toujours son prénom mais, d’une certaine façon, ce simple contact avait comme effacé le silence qui s’était instillé entre eux quelques instants auparavant. Si le premier silence partagé avait été lourd, celui-ci était bien différent. Il était celui d’un partage d’un sentiment d’anxiété. Il était le partage des doutes et de l’incompréhension vécus face au monde qui se présentait à eux dorénavant. Jusqu’à maintenant, il s’était convaincu qu’il était près de chez lui. Ou qu’il était mort. Soudainement, il se pensait dans un autre monde. Que leur était-il arrivé ?

Brisant sa solitude, il se tourna vers la jeune femme. Son regard, perdu, s’était posé dans le sien. Il avait senti cette même appréhension, cette même perte. Elle non plus ne savait où ils étaient. Et sûrement avait-elle cherché, par son geste, à se rassurer sur la présence humaine qu’il était. Il ne devait pas être la meilleure mais, faute de mieux, elle s’était appuyée sur lui pour savoir qu’il était vivant. Une larme avait même coulé sur son visage et, de façon mécanique, sans réellement penser à son geste, il essuya la larme, d’un vague sourire peiné. « Je suis paumé. » C’était la seule phrase qu’il avait su dire. Elle énonçait une évidence. Ils étaient perdus.

Par réflexe, sans vraiment savoir, comme hors de lui, Edward prit la main de la jeune femme et avança de quelques pas. Il voulait être certain qu’elle n’allait pas disparaître. Elle ne devait pas disparaître. Aussi, inconsciemment, prendre sa main lui semblait la seule solution pour sa propre survie. Et, six pas plus loin dans cette solitude partagée, il se tourna à nouveau pour elle. Sûrement sentit-il seulement à cet instant qu’il avait encore cette main qui n’était pas la sienne. Aussi, la lâchant enfin, il se grattait l’arrière de la tête. « Excusez-moi. J’ai cherché du réconfort et … » Un mauvais réflexe. Il regrettait quasiment d’avoir agi par pur instinct.

Désemparé, perdu, encore à la recherche d’un vague repère dans ce monde inconnu, il tomba à genoux. « Damn. Qu’est-ce que j’ai foutu ? »

Il sentit à nouveau la chaleur de la jeune femme. Elle était sa partenaire dans cette effroyable découverte. Il en avait visité, des lieux, mais aucun ne surgissait dans sa mémoire. Ces lieux, qui étaient censés être Wooden Cove, ne ressemblaient en rien aux endroits de ses souvenirs. Tout était différent. Il déglutit, pris d’une peur angoissante. Il devait affronter une réalité qu’il n’était pas capable d’assumer à cet instant. Il était toujours à Wooden Cove. Pourquoi ? Comment ? Il n’avait aucune réponse mais, en son for intérieur, il savait qu’il était chez lui. Bien que tout était si différent.

Il remerciait sa partenaire pour le geste. Il savait qu’elle était aussi désemparée que lui, qu’elle cherchait comme lui une présence pour se rassurer. Ils n’avaient pas besoin de mots. En fait, le simple contact avait quelque chose de quasiment rassurant en ces instants troublés. Sans elle, le choc aurait été encore plus brutal.

Pourtant, tout prit fin de façon aussi violente que la découverte de cet étrange environnement. Un aboiement. Puissant. A faire trembler le sol sous ses genoux. Tel un chien qui s’approchait mais qui ressemblait davantage à un monstre. Car, alors qu’il se releva instinctivement en sentant le danger, il découvrit l’étrange espèce. Une bête. Une créature tout droit sortie des plus grandes fantaisies. Tout droit sortie d’un autre univers. Plus grand qu’un homme. La gueule semblable à un chien. La seule ressemblance s’arrêtait là. Était-ce une espèce dangereuse ? Allait-ce être la fin de ce bref réveil ? Deux solutions pouvaient s’imposer à lui. Soit il prenait la fuite et abandonnait l’inconnue à un destin douteux. Soit il se mettait en travers. Soit il augmentait ses minces de survie. Soit il crevait au plus vite pour ne pas en découvrir davantage sur ce monde déconcertant. Aussi, doucement, sans faire de gestes brusques, il s’interposa de son corps entre la bête (ou le monstre) et la jeune femme. « Je crois que dans les films, le héros dit un truc plutôt badass et s’en sort vivant. »

Puis il se met rire devant ses propres paroles, il devait perdre la tête. « Je ne suis pas un héros. Et nous ne sommes pas dans un film. » Il hausse les épaules devant ce constat stupide. Il n’avait pas envie d’en découvrir plus. Devant la bête, il en avait oublié CryoLab. Il savait dorénavant qu’il n’était pas au Paradis et si cette femme avait un quelconque plan sordide, il ne trouvait plus cela amusant depuis quelques minutes. Tentant de reprendre quelque vain courage, lançant une pauvre phrase, il souriait. « Le héros reçoit quand même un baiser pour son courage. » Il se tourne vers la jeune femme. « Un peu tôt et pas le bon moment, je suppose ? »

Edward n’était pas vraiment intéressé par la jeune femme. Pour ainsi dire, il ne faisait que fanfaronner, comme il le faisait si souvent. C’était sa façon particulière de dire à une personne qu’il n’était pas intéressé. Lorsqu’il lâchait autant de stupidités, il fallait se dire qu’il tentait de faire fuir la personne. Aussi, s’ils survivaient, elle aurait une bien drôle image du personnage. Face à la créature, il avait oublié ses nombreuses questions. Il ne s’inquiétait plus de sa gueule de bois, ni de cette fameuse CryoLab. Pour le moment, seule sa survie dominait chaque instinct. Il avait déjà affronté plusieurs espèces dangereuses, mais dans ces moments-là, il était équipé.

Elle fut la première à remarquer l’équipement de la bête, pensant déjà qu’elle était apprivoisée. Trop concentré sur le regard du monstre, Edward en était arrivé à la même conclusion. Elle ne leur voulait aucun mal. Elle ne les regardait pas comme un bout de viande qu’elle était sur le point de dévorer. Et les nouvelles informations semblaient aller dans ce sens. L’animal, le monstre, la bête, était apprivoisé. Restait à supposer que c’étaient bien des êtres humains et non des êtres difformes. Après tout, un très vieux film, qui datait des années 2000, montrait un groupe d’êtres humains kidnappés pour un jeu de chasse sur une autre planète. Il vint à déglutir à l’idée d’être une proie.

Alors qu’elle dépassait le pauvre rempart qu’il était, qu’elle retroussait ses manches et se montrait aussi inoffensive qu’elle l’était, la créature eut une autre réaction que le jeune homme connaissait. Pour avoir eu plusieurs chiens, ceci signifiait que l’animal était habitué à la présence des hommes. Il voulait jouer, ou en tout cas, se montrait tout aussi inoffensif que les deux êtres humains. Edward hésitait encore. Est-ce que la bête était libérée de façon volontaire ? Ou s’était-elle libéré ? Lâchant sa veste, il décida qu’il pouvait faire confiance au monstre. Les deux bras en avant, paumes écartées, il finit par poser une main sur le museau de la bête et, souriant à la jeune femme, finit par déclarer : « C’est un chien … En plus gros. Il doit aussi servir de monture pour quelqu’un, ou quelque chose. »

Elle avait raison. Son dos était largement équipé pour servir de monture. Il y avait quelques protections, une selle. Nul doute que quelqu’un s’en servait. En tout cas, jusqu’à récemment, vu la propreté de l’ensemble. Quelqu’un s’en occupait. Peut-être que l’animal s’était enfui de façon stupide, s’était perdu et que son propriétaire le cherchait. D’un nouveau sourire, plus sincère que les précédents, Edward proposa ainsi : « Vous voulez essayer de monter dessus ? Je crois qu’elle est inoffensive. »

Aussi, passant sur l’autre flanc, face à l’inconnue, il lui tendit un bras, l’invitant à s’essayer à la découverte de cette créature et de ce monde. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le danger avait effacé tous ses doutes et ses questions. Et, maintenant, la découverte de l’inconnu repoussait au loin le reste. Il était curieux. Il avait toujours été curieux.

La jeune femme était sur la défensive. Même elle agissait bizarrement et Edward eut l’envie de pousser un soupir d’exaspération. Comment une femme pouvait agir ? Sûrement n’était-elle pas encore tout à fait remise de son difficile réveil. Ou peut-être réagissait-elle mal à l’adrénaline. Dans tous les cas, Edward eut l’envie de se trouver un mur et de s’y frapper le crâne, en pleurant je-ne-sais-quoi. Il était tombé sur une femme bien compliquée.

A la question de savoir si la bête était dangereuse, il avait uniquement haussé les épaules. Il ne savait pas trop. Mais il préférait écouter son instinct. Et ce dernier lui disait que la créature était inoffensive. S’il écoutait sa raison, ou la femme, il serait déjà en train de courir sans aucun but autre que s’éloigner du monstre. Autant dire que, d’une certaine façon, son instinct semblait plus rationnel qu’une femme ou la logique. Finalement, il aurait peut-être dû la laisser évanouie.

Car, maintenant qu’ils reprenaient pleinement conscience de leurs différents muscles, elle semblait être une folle. Une allumée de la cervelle. A bien se rendre compte, elle était de celles qui n’écoutaient pas le héros dans les films, qui hurlaient devant le monstre plutôt que de se taire. Elle pouvait tout aussi bien les tuer par ses idées stupides. Aussi, alors qu’évoquait une étrange possibilité, il se recula de plusieurs pas.

Il pensait la méfiance dépassée, qu’une certaine confiance mutuelle et silencieuse s’était posée entre eux, mais ce n’était sûrement pas le cas de celle-ci. Aussi, les sourcils froncés, sans perdre son calme, et pointant les mains vers le sol, il déclara : « Vous m’avez vu, non ? Je viens de me réveiller dans un cryopod à cette CryoLab et vous pensez que vous êtes une viande ou je ne sais quoi. »

Ou c’était un piège. Peut-être que depuis tout à l’heure, tout ceci était un test. Elle l’évaluait de façon permanente. Non. Il ne fallait pas devenir paranoïaque. Ils étaient sur le même bateau. Elle n’était pas de l’autre équipe. Aussi, fermant les yeux et prenant une large inspiration, il reposa son regard sur elle et continua calmement. « Je ne suis pas votre ennemi. Si vous préférez rentrer dans votre congélateur, je ne vais pas vous retenir. »

Puis, lui tournant le dos et faisant un nouveau pas pour s’en aller, il lança dans le vide. « Quand je pense que j’allais me laisser crever pour elle. Bullshit. »

Une pointe de culpabilité. Voilà ce qu’il ressentait au fond de son estomac. Il savait qu’il avait réagi de façon excessive. Il n’aurait pas dû réagir de la sorte. Elle réagissait sous le poids de l’angoisse de l’inconnu. Il avait été un idiot. Il s’en voulait d’avoir été trop brutal, trop violent dans ses quelques mots lancés furieusement. Mais tout ceci était nouveau. Il ne connaissait rien, ne la connaissait pas et se réveillait dans un monde et univers qui n’était pas le sien. Il avait perdu une partie de sa mémoire courte, ne se rappelant rien de la veille et souffrait d’un syndrome post-traumatique qui avait conduit à une irritabilité non-nécessaire. Elle pouvait même lui être mortel.

Il s’était arrêté rapidement. Il n’avait fait qu’un pas quand il l’avait entendue. Elle s’excusait. Puis, alors qu’il se retournait vers elle, il la découvrait légèrement baissée. Et, comme si elle lui accordait sa confiance, elle lui donna son identité. Elle s’appelait Nora. Ainsi, la jeune femme se nommait Nora. En temps normal, loin de la crise qu’ils vivaient, il se serait empressé d’être enchanté. Mais, pour le moment, ils n’avaient pas le temps. Aussi, bêtement, il laissa un sourire s’afficher, hochant de la tête, remerciant silencieusement sa partenaire de son geste.

Il continua d’observer la créature et Nora. La bête, de façon surprenante, s’était relevée et sa queue se mettait en tous sens. C’était comme cela que les chiens exprimaient leur joie et leur impatience. Nul doute, son maître allait bientôt apparaître. Ou, en tout cas, une connaissance de la bête. Par réflexe, s’approchant de la rousse, Edward la protégea de son corps. « Restez derrière. Quelqu’un arrive. Le comportement de la bête a changé. »

Il était sur ses gardes, regardant dans la direction dans laquelle la bête regardait. Concentré, une boule dans la gorge et dans le ventre, il savait que ceci pouvait être leur dernier moment. Cette fois-ci, le danger, il ne le connaissait pas. Il n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être. Un être humain. Un nouveau monstre. Et même s’ils faisaient face à un autre humain, rien ne l’assurait qu’il ne leur serait pas hostile. Il fallait se montrer prudent. « Restez derrière moi, Nora. Et si je vous dis de fuir … Courrez sans vous retourner, s’il vous plaît. »

Un petit regard vers elle. Il était sérieux. Il n’était pas angoissé comme la première fois. Plus assuré, il savait d’où venait le danger. Une petite inspiration. Une longue expiration. Le danger était imminent.

En fait, Edward était à court de références filmographiques pour lui venir en aide. D’autant que Nora semblait ironiser son comportement. Sûrement avait-elle connu un « prince charmant pas si charmant » par le passé et qu’elle faisait un mauvais amalgame entre les deux hommes. Mais il n’était pas là pour réfléchir à Nora, ni même penser aux raisons qui la poussaient à être ce qu’elle était. Au final, peut-être même qu’il ne la verrait plus. Car, en face d’eux, se présentait …

Une Amazone.

Dans l’esprit populaire, et dans celui d’Edward, une Amazone était une femme à la petite poitrine et portant un arc. En somme, ce qu’il avait devant lui. Aussi, de ce qu’il avait plus ou moins retenu de ses vieilles leçons, elles réduisaient les hommes en esclavage, faisant d’eux rien de plus que de vulgaires objets sexuels. Il avait fallu que sur toutes les sociétés possibles et imaginables, ils viennent à tomber sur une tribu de femmes réduisant les hommes. Damn. Cette CryoLab avait vraiment choisi son coin.

Donc. S’il se trouvait face à une Amazone, ils se trouvaient en Amazonie. Facile. Il n’en avait pas vu lors de son premier voyage, ce qui rattrapait donc l’affaire. Quel sale mauvais trip il vivait. Non seulement il avait quitté le continent américain. Mais il avait voyagé en Amérique latine, pour se retrouver au milieu d’un bordel hétéroclite, planté au milieu d’une jungle dont les tribus locales étaient des Amazones. Quand il raconterait cela à la télévision, personne ne le croirait. Même lui n’y croyait pas encore vraiment.

« J’avais pas vraiment envisagé l’arc, en fait. Du coup, on se ferait embroché. » Il avait légèrement penché la tête en arrière, vers Nora. Malgré les remarques cinglantes qu’elle lui jetait, elle n’avait pas refusé le refuge qu’il lui offrait. Elle avait beau dire ce qu’elle voulait, elle ne l’avait pas (encore) repoussé. Sûrement une lesbienne qui refoulait son côté bisexuel.

« Dites, Archère. Vous êtes CryoLab ? Ou … Vous pourriez nous aider ? Nous sommes un peu paumés au milieu de … Ceci ? » Il écarte grand les bras, montrant qu’il ne savait pas comment appeler cet endroit. « Vous comprenez au moins ce que j’ai dit ? Vous parlez bien ma langue ? » Oh. God. Edward, que tu pouvais être stupide quand tu le cherchais.

Edward était de ceux dont le réveil était plus difficile. On pouvait appeler cela un « Syndrome de stress post-traumatique », car c’était bien là ce qu’il vivait. Son esprit ne cogitait pas, son corps souffrait encore de quelques spasmes légers. Il se contrôlait péniblement. Ici, tout était mystérieux. Tout lui était totalement inconnu. Aussi, de façon maladroite, il essayait de rattacher ça à son ancienne réalité, à ce qu’il faisait jusqu’à ce changement. Mais plus les minutes passaient, plus il savait qu’il devait affronter la réalité. Il ne pouvait plus se retrancher dans un univers qui n’existait plus.

A sa plus grande surprise, l’indigène, ou l’Amazone, était égal aux légendes. Sans aucun geste agressif de l’homme, elle avait sorti les crocs, tirant une flèche qui avait sifflé trop près de sa tête. Sûrement un moyen de le dissuader de faire une quelconque connerie, bien qu’il n’en avait jamais eu l’intention. Aussi, encore sous le choc de cette agression gratuite, il laissa faire Nora, qui sortait de son refuge. Il fut d’ailleurs étonné des mots qu’elle employa, le qualifiant d’un « ami ». Drôle de relation entre les deux, il fallait se le dire. Mais ce n’était pas le moment pour lui de lâcher une quelconque phrase « Nous sommes vraiment des amis ? ». Ce n’était ni le lieu, ni le moment pour un tel débat. Aussi, se taisant, il se gratta l’arrière du crâne.

Il laissa Nora parler, car c’était tout ce qu’il pouvait faire. Que pouvait-il dire ? Il avait toujours eu des difficultés à s’exprimer avec les gens. Maladroit, une trop grande franchise. Sa mère lui avait toujours dit qu’il se ferait des ennemis. Aussi, prenant une profonde inspiration, il tenta de s’expliquer comme il pouvait. « Je suis désolé si … Si je vous ai mal perçue. C’est l’arc … Et ma gueule de bois. Je cherche juste à comprendre où je suis et, surtout, ce que je fous ici. Personne ne m’a donné une seule réponse. »

Il n’avait pas bougé d’un centimètre depuis que la flèche avait été tirée. Bien que Nora s’était maintenant interposée entre l’archère et lui, il ne craignait pas pour sa vie. C’était lui, et uniquement lui, la cible. Aussi, posant son regard dans celui de l’Amazone, il posa silencieusement ses questions, lui demandant les réponses dont il avait besoin pour comprendre ce nouveau monde. Ou allait-elle encore y voir une lueur de défi ?

En tout cas, jusqu’à maintenant, les femmes d’ici étaient légèrement perturbées.