When you wished
For a thousand places better than this

Une voix.

La première qu'Olivia entendait aussi clairement dans son sommeil. Celui-ci s'était entrecoupé de rêves, de souvenirs qui repassaient sans cesse dans son esprit comme un disque rayé. De temps en temps, des paroles venaient parasiter ses images : "Respire, t'inquiète pas."; "Qu’est ce qui s’est passé ?"; "C'est quoi ton nom ?"... Des mots qui ne lui étaient nullement adressés, mais qu'elle entendait à moitié, comme si sa tête était plongé sous l'eau tandis qu'elle écoutait.

Cette fois, elle sentait que c'était bien à elle que l'on s'adressait. Elle ne comprenait pas avec certitude les mots de la femme, mais elle les entendait. Essayant d'ouvrir les yeux pour regarder son interlocutrice, Olivia fut vite confrontée à un échec. Alors elle tenta de bouger les bras pour se dégager de peu importe où elle était, puis, constatant que c'était inutile, essaya avec les jambes. Elle était complètement paralysée, et dans une position terriblement inconfortable. Quoi que j'ai bu hier, je n'aurais pas dû.

Elle attendit un moment, avec la certitude que ses sens reviendront par eux même, et que s'épuiser à se battre contre son propre corps ne servait à rien. Au bout d'un instant qui lui parut être une éternité, elle ouvrit lentement les yeux... L'endroit où elle était ne lui disait rien du tout. Il y faisait trop sombre, de toute façon, pour qu'elle s'y repère correctement.

Elle essaya de faire bouger ses doigts, puis ses bras : C'était encore trop difficile pour elle. Lâchant un douloureux soupir, elle attendit dans cette même position, haïssant l'ami qui lui avait fait une farce pareille. Elle finit par se dégager de son cryopod, et posa maladroitement son pied au sol. Trébuchant sur un bon mètre, elle parvint à s'accrocher à un mur, lui évitant une chute ridicule. Elle s'assit, dos à celui ci, frigorifiée.

Olivia massa ses jambes de ses mains tremblantes, un air agacé au visage. De toute évidence, elle n'était pas en train de vivre un retour de soirée. Et une farce de cette ampleur, ça lui semblait tout de même gros. Cherchant dans sa liste mentale d'ami milliardaire, elle finit par pencher vers la thèse d'une télé réalité un brin étrange. Ça expliquait l'absence d'âmes qui vivent alors qu'elle avait la certitude d'avoir entendu quelqu'un : C'était simplement l'animatrice du jeu.

Cherchant une caméra du regard, elle restait assise, n'osant plus (essayer de) se relever et offrir aux l’Amérique toute entière une vision charmante de son visage écrasé contre le sol.

When you wished
For a thousand places better than this

Olivia ne saurait dire combien de temps elle était restée assise là, à attendre qu’on vienne la chercher. Les yeux au sol, elle essayait de se remémorer ses souvenirs les plus récents, antérieurs à son réveil dans l'une de ces grandes boites gelées, mais rien ne lui venait. Quand elle entendit des bruits de pas se rapprocher, Olivia était en train de replacer correctement sa chevelure rousse. Elle releva les yeux, et ils tombèrent sur la figure d’une jeune femme qui lui était totalement inconnue.

Une candidate à l’émission ? La situation devenait de plus en plus étrange. La femme lui déposa une large couverture sur les épaules, dans laquelle Olivia s’emmitoufla, lâchant un sourire de remerciement à la nouvelle venue, encore frigorifiée par son petit séjour dans son cryopod.

— Comment tu te sens ? Tu arrives à parler ? » lui dit l’inconnue.

Quelle étrange question ! Bien sûr, pourquoi je...

Mais rien ne sortit de ses lèvres. Elles s’étaient entre-ouvertes, mais aucun son n'avait passé leur barrière. Olivia tomba dans une panique sans nom en n'entendant que le silence là où il devrait avoir des paroles – les siennes !

Comme seule réponse, elle ne fit que secouer la tête en direction de l’inconnue, les yeux inquiets, lui demandant des explications d'un regard paniqué.

When you wished
For a thousand places better than this

Comment ne pouvait-elle pas s’inquiéter ?! Sa voix, c’était sa vie. Sans elle, elle ne pouvait pas chanter, elle ne pouvait pas charmer quiconque. Qu’on lui arrache ses seuls talents et qu’on les réduise au silence devant ses yeux, ce n’étant pas inquiétant ?  Elle voulut ouvrir la bouche, pour lui dire qu’elle avait toute les raisons du monde d’être effrayée, mais de nouveau, aucun son n’en sortit. Où était-elle, d’abord ? Quel genre de jeu télévisé était-ce là ?

Une expression boudeuse sur le visage, Olivia regardait l’inconnue avec de petits yeux suspicieux. D’abord parce que cette dernière avait sa main sur son genou - eh bien ! elle est directe, elle, que se disait la jeune fille -, et ensuite parce qu’elle lui avait demandé de se lever. On voulait vraiment la voir s’écraser au sol, après tout.

Olivia regarda l’inconnue, puis ses propres jambes, puis l’inconnu, puis… Et au bout d’un long moment, elle se saisit du bras qu’on lui tendait, et s’accrocha à lui comme un marin à sa bouée de sauvetage, en pleine tempête, perdu dans l’immensité de la mer. Ses jambes tremblèrent, n'étant plus habituées à supporter le poids de son corps, et Olivia crut bien emporter la mystérieuse jeune fille avec elle dans sa chute ;

Mais rien de tel n’arriva, et Olivia esquissa un pas maladroit, puis un deuxième, très concentrée sur sa technique, tout en tenant aussi fermement que ses bras gelés lui permettaient l’inconnue. Au bout d’un petit moment, elle se risqua à lâcher l’autre femme, et à marcher par elle-même : Cela lui rappela l’après-midi entière qu’elle avait passé à apprendre à faire du vélo, quand elle était toute jeune, sous les regards critiques de ses parents.

Constatant qu’elle pouvait presque se débrouiller sans appui, elle regarda l’inconnue, et lui lança un « merci » muet mais compréhensible, accompagné d’un sourire aimable. Elle avait eu tort de douter de… Peu importe qui elle était.

When you wished
For a thousand places better than this

L’inconnue fit un signe dans une direction encore étrangère à Olivia, qui se contenta d’acquiescer à son geste. Rester ici ne servirait personne : Et elle se demandait encore où elle pouvait bien avoir atterrie. Malheureusement, sans sa voix, le nombre de questions qu’elle pouvait poser était très… limité. Et dieu savait qu’elle en avait à l’esprit, des interrogations.

— Allez viens, si tu as besoin, accroche toi à moi.

De nouveau, la rousse essaya de dire que, d’accord, elle y penserait, en vain. Elle finit par secouer lentement la tête dans sa déception, et finit par lever son pouce en direction de la mystérieuse jeune femme, s’approchant d’elle à pas maladroits pour pouvoir s'accrocher à son bras en cas de chute.

La traversée du couloir lui sembla être un parcours du combattant : Longue, douloureuse, ses jambes lui faisaient mal, comme si tous ses muscles lui disaient de se poser et d’attendre encore un peu avant de s’agiter comme ça. Mais la curiosité et l’envie de se sortir de sa perdition actuelle était trop grande, et Olivia continua sa route jusqu’à déboucher sur un grand hall, où elle y aperçut une figure étrangement familière, dos à elle.

When you wished
For a thousand places better than this

Avec la certitude que la silhouette qui lui faisait dos lui était familière, Olivia cherchait dans ses souvenirs à qui elle pouvait bien appartenir. Puis, la personne se retourna et un cri de joie résonna dans la voûte. De la même manière, la future Gamma sautilla sur place, sans pouvoir pousser une exclamation qui rivaliserait avec celle de Claire. À la place, elle avait des étoiles dans les yeux et un grand sourire qui éclaircissait son visage. Puis, à mesure que Claire lui courrait dessus, Olivia réalisa que la mort l’attendait à l’atterrissage. Adieu monde je pars. Ce fut sa dernière pensée avant de recevoir sa chanteuse préférée dans les bras.

Sous le flot de questions qui l’assaillit, Olivia ne put qu’hausser les épaules pour signaler que son mutisme - qu’elle espérait bel et bien juste de passage - était encore là, à emprisonner sa voix, ses paroles, la plus forte de ses armes. Puis, quand Claire lui parla d’un certain Wade, qui l’avait traité de pute, elle prit un air outré, la main sur la poitrine, lâchant un :

— QUOI ???

Très audible pour quelqu’un qui ne savait plus parler. Elle serra Claire fort dans ses bras en constatant que sa voix était revenue… Sous le coup de l’indignation, elle supposait ? Puis, quand Evy fit remarquer à sa très enthousiaste amie qu’elle était en train de lui briser plusieurs os, ce qui n’était pas forcément faux, elle leva un pouce rassurant dans sa direction, et lui fit le plus enjoué des clin d’oeil. Elle ne comprenait rien à ce qu’il lui arrivait, et se doutait qu’elle allait rester encore un petit moment dans cette confusion, entrecoupée de cris féminins et de gros câlins.

— Hiiii moi aussi ! Regardes toi ! Tu es... Tu es...!

... Super mal épilée des sourcils ?

Elle se recula un peu de son amie, histoire de prendre une grande inspiration, et de s’éviter une mort par étouffement accidentel. Ses deux mains sur l’épaule de Claire, elle se pencha vers elle, rendue curieuse par cette vision très étrange qu'elle venait d'avoir.

— Claire. Tout va bien ?

Elle regardait son visage avec des petits yeux concentrés, ne quittant pas ses sourcils du regard.

— Je ne peux pas te laisser comme ça. finit par dire Olivia, sous le coup de l’émotion.

Elle était son amie, tout de même. Elle ne le permettrait pas ! Elle regarda dans tous les sens, à la recherche de ses affaires.

— Où est ma trousse de maquillage ?

Elle devait bien avoir une ou deux pinces à épiler là dedans.

When you wished
For a thousand places better than this

Pas de cire… ? De rasoirs…?! DE CRÈME ÉPILATOIRE ?! Olivia se recula, la main sur la poitrine dans un énième dramatisme. Elle regardait Claire comme si cette dernière venait de dire la plus grosse idiotie du monde, bouche bée, et abasourdie. Avaient-ils remonté dans le temps durant son sommeil ? Étaient-ils retournés à l’âge de pierre ? Elle craignait d’apprendre ce qui s’était passé, maintenant : Les vêtements en peau d’animaux ne lui iraient certainement pas.

— Je… Je me sens faillir.

La jeune femme piétina le sol, en perte d’équilibre, complètement déboussolée. Apprendre la disparition de toutes cosmétiques était déjà quelque chose, pour elle, mais il ne s’agissait pas que de cela. À elle qui s’était réveillée muette, rien n’avait été dit. Et plus la conversation avec Claire progressait, plus elle en apprenait sur ce qui s’était passé, plus des souvenirs d’explosions, de cri, d’humains en piétinant d’autres lui revenaient par flash violents.

— Sortir…?

Elle releva des yeux perdus en direction des deux autres filles, et conclut d’une petite voix :

— Non, ça va. Je suis bien ici.

Elle ne voulait pas savoir ce qu’il s’était passé. Elle ne voulait pas poser un pied dehors. L’obscurité de la voûte lui était bien plus accueillante. Elle s'assit au sol, croisa les bras, et regarda ailleurs.