T’aimes pas les cris aigus. T’aime encore moins les acouphènes. Ou les chocs.
En plus c’est dur. Ou alors tu passes à travers. T’as la zygomatique qui hurle dans tous les cas.
La dèche pour ouvrir un œil, en plus tu vois flou. C’est vachement chaud par terre, et vachement plus froid dedans. Tu sais pas si c’est le mal de crâne ou la différence de températures le pire. Ou les courbatures. Probablement les courbatures. T’en as jusque dans les dreads putain.
T’arrives à voir un peu. C’est gris putain. Et blanc. Tu te dis que tu vas rester par terre encore un moment. Au moins le temps que la gerbe passe. Et fermer les yeux aussi. Juste attendre que ça aille mieux.

Tu t’es rendormi, faudrait penser à bouger maintenant que ça tangue moins.

Tu t’es encore rendormi. Tu te sens respirer, tu gerbes tes tripes avant d’avoir pu te redresser.
T’arrives à te mettre sur un bras et te tartine de la bile sur la joue en voulant l’enlever, le tout avec la dignité d’une larve. T’en as ta claque, tu veux juste que ça s’arrête, il te faut bien dix minutes de plus avant de bouger. Tu sais toujours pas où t’habites mais tu reconnais un casier. Tu l’ouvres, tu regardes et prend des fringues.
T’es tellement heureux d’avoir un gros sweat sur le dos. Mais tellement. C’est le meilleur moment de ta journée. T’as juste plus froid putain. Pour la peine, tu vas probablement te rendormir comme une loque.

Cette fois ça va. Tu sens toujours pas tes pieds mais tu ça devrait bien se passer. Tu prends quelques grosses respirations et regarde la flaque de gerbe que t’as posé plus tôt. Tu grattes les restes sur sa joue parce que sérieux c’est immonde. Sur le papier ça sonnait moins violent quand même. Tu réfléchis flou mais au moins t’es assis.
Ca fait pas mal de cellules, beaucoup de vides. Tu repars fouiller dans le casier. Un briquet, vingt-cinq dollars et tes clés. T’es parti comme une furie, c’était le chaos dans les rues. A part ça tu sais rien.
Faudrait que t’ailles voir au moins dans la pièce à côté. Ça commence à te faire flipper les silhouettes livides.

Il détestait cet endroit. C’était presque maladif. Rien qu’en y posant les pieds, les souvenirs de son réveil lui revenaient, et ils ramenaient avec eux tout un tas de sensations franchement désagréables – putain, il s’en souvenait des vertiges et de tout le bordel, c’était pas la peine de lui en redonner sans raison. Un peu comme quand on remange un plat qu’on a un jour gerbé – et qui a précisément ce goût-là. Il se promit de ne pas trainer, et se dirigea vers le coin cuisine, à la recherche de quoi que ce soit d’utile à emmener dans la jungle – il s’était porté volontaire pour aller chasser des moutons, dans quelques jours. Il passa devant le couloir qui le vit se ramasser par terre, le premier jour, et grimaça. Puis, devant le couloir parallèle au sien. Et là, il s’arrêta net, sursautant à moitié. Il ne s’attendait pas à voir quelqu’un à ce moment de la journée, et encore moins une marmotte à peine sortie de son hibernation. Le gars était debout et avait déjà enfilé ses anciens vêtements – soit un putain de guerrier, soit un mec réveillé depuis un moment déjà.

« Merde, t’es réveillé depuis longtemps ? » Il s’approcha assez près, tout en gardant un peu ses distances – il avait repéré la petite flaque dégueulasse par terre, et ne souhaitait pas vraiment se retrouver avec une copie sur sa chemise. « Je m’appelle Matthew. Et c’est normal si ça tangue un peu, ça va se calmer. »

Ca ne l’enchantait pas vraiment d’accueillir un type lui-même – il fallait trouver le tact pour lui dire qu’il avait tout perdu ; son confort, sa famille, ses projets d’avenir. Et merde, le tact, c’était pas son truc. Finalement, Tallulah s'était pas trop mal débrouillée, même si elle avait des délires un peu bizarres concernant la période de pré-cryogénisation. Mais il ferait un effort. « Tu te souviens de pourquoi tu es ici ? » demanda-t-il doucement, dans l'espoir qu'il n'ait pas à tout lui raconter.

T’en étais encore à recompter tes neurones quand la voix est arrivée.
T’as même pas sursauté, ni tourné la tête, en vrai il t’en reste peut-être plus assez pour la bouger. Il s’approche, heureusement, tu penses même pas à le faire derrière tes yeux de bœuf un peu con. Tu le fixes plusieurs secondes avant que l’info fasse le tour, te reprend à la limite d’avoir l’air végétatif.

Heu.. je sais pas.. un moment.

Tu regardes autour de toi pour trouver une réponse à son affirmation. Tu reviens encore plus paumé que tu l’était quand tu cherchais.

Virgil. Je- ouais, ça va.

Ca a pas l’air, mais ta flaque de gerbe a bien aidé quand même. T’as juste le cœur qui bat contre tes tympans, à part ça, c’est cool. Et ton crâne a cramé, ou gelé, au choix. Tu vas survivre aux dix prochaines minutes, ça te suffit.

Plus.. vraiment. Y a eu des explosions ?

T’as une vague image de rue en feu et de gens qui gueulent. A part ça, du nage dans le sable.
Tu refermes machinalement le casier avant d’e avoir récupéré les babioles. Ces containers à momies te font flipper quand même. C’est super glauque quand même, le givre te fait presque mal rien que de le voir. Tu longes les coffres à humains et fringues pour le rejoindre. Tu veux plus rester là dedans, tu vas finir par en faire des cauchemars de cet endroit.

On peut bouger ?

T’attends pas vraiment de réponse, tu vas pour emprunter le couloir de sortie. De l’air frais ça te ferait du bien. Une clope aussi.