A W A K E

Ses yeux abritent l’anxiété qui grouille sous sa peau. L’incompréhension aurait pu être le premier sentiment qui gouverne Cece, mais il en est autrement. Perdition, anxiété, incompréhension, faiblesse. Tout ce florilège de sensations empêche la jeune femme de penser correctement. Elle se sent comme prisonnière, prise au piège. Enfermée dans ce cercueil technologique, l’angoisse grandit à mesure où elle discerne ce qui ressemble à une vitre devant ses yeux. Sa main se colle à la vitre qu’elle tambourine faiblement  dans l’espoir qu’elle cède sous son poing.

Un bruit de coulissement. Un froid extrême vient se nicher en son sein, et paralyse la petite blonde. Elle s’effondre avec fracas, à même le sol, au pied du cryopod. Sa combinaison lui colle à la peau, et l’enserre comme un étau autour de son corps. Elle tente désespérément d’ôter cet habit atypique, mais ses gestes sont trop approximatifs, bien trop brouillon pour parvenir à un résultat satisfaisant. Une vague de tremblements secoue son échine, fait claquer ses dents et teinte ses lèvres d’une couleur violâtre. Sa vision est brouillée, sa bouche asséchée par le manque d’hydratation. L’aridité de sa gorge comprime ses cordes vocales et bloque sa voix. Troublée devant le mutisme qui se déloge d’entre ses lèvres grelottantes, Cece s’empresse un peu plus à se débarrasser de la gêne qu’engendre cet accoutrement. Ses doigts tâtonnent aveuglement, à la recherche d’un bouton, d’une ouverture. Enroulée sur elle-même telle une crevette, la jeune femme se débat, se tortille jusqu’à trouver une fermeture qu’elle descend avec soulagement.

Elle respire enfin. La jeune blonde ne se fait pas prier pour s’extirper hors de la combinaison, mais une fois en sous-vêtements, la question se pose : où sont ses habits ? Elle balaye la salle d’un regard circulaire à la recherche de l’emplacement de ses effets personnels, tout en rampant à bout de bras. Elle est frigorifiée, et c’est dans un tremblement incontrôlable qu’elle gémit de douleur. A choisir entre la sensation d’oppression de la combinaison et le froid extrême, elle a préféré ôter l’objet bloquant sa respiration. Mais maintenant, Cece devait lutter contre le froid qui paralyse son corps et bloque le moindre de ses mouvements.

Dans ses mains elle souffle, pour se réchauffer, quand son corps ne répond pas comme elle souhaite.

UNIS COMME LES DOIGTS DE LA MAIN

La même pensée turlupine Wade depuis plusieurs semaines, la même inquiétude qui le pousse à se rendre dans l'enceinte de la voûte presque chaque jour. Il se souvient très bien de ne pas être venu seul le jour où il a mis les pieds ici la toute première fois, avant la cryogénisation. Le cryopod voisin au sien est occupé par la seule personne pour qui il a encore un semblant d'affection aujourd'hui ; et il ne s'est toujours pas ouvert. Chaque jour qui passe, il demeure scellé comme un coffre fort.

Submergé par la froideur de la forteresse souterraine, il suit machinalement le chemin habituel vers le segment 2C, sans presser le pas. Il entend des bruits, une voix à faible tonalité qui l'intrigue. Lorsqu'il pousse la porte blindée déjà entrouverte de la chambre, il aperçoit un homme, dos à lui, proche de son amie qui tient à peine sur ses jambes frigorifiées. La première pensée qui lui traverse l'esprit est que le type essaye de profiter de l'état de faiblesse de la blonde, mais il comprend rapidement qu'il n'est animé d'aucune mauvaise intention en voyant la veste large posée sur ses épaules.

— Ça ira comme ça, merci de ton intervention, dit-il en posant une main ferme sur l'épaule du jeune homme pour l'écarter.

Il a déjà prévu le coup et a emporté une couverture épaisse avec lui pour la donner à Cece. Il est également ici parce que son rôle de médecin l'y oblige, il doit s'assurer qu'un nouvel éveillé ne présente pas de carence ou de quelconque signe pathologique. Il couvre la blonde de l'étoffe dense et l'enroule autour d'elle pour la réchauffer, avant de faire quelques pas vers le cryopod pour récupérer ses affaires et les lui amener.

— Habille-toi, Cece.

Le son de sa voix est incisif, presque glacial. Son injonction passerait presque pour une certaine forme de mépris, mais malgré son manque d'expressivité, il est soulagé d'un tourment qui le hante depuis des semaines.

— Comment tu te sens ?

A W A K E

La lumière tamisée du monstre de fer permet à la jeune femme de récupérer progressivement la vue, bien qu’elle ait préféré que son corps se réveille et repousse le froid. Chaque seconde est une torture, ramper ressemble plus à un parcours du combattant qu’à un simple geste qui devrait être le plus anodin du monde. Elle ne sait pas depuis combien de temps elle luttait à atteindre le mur d’en face pour s’y allonger, mais une voix inconnue s’élève et l’intime à se calmer. Woh woh du calme, du calme. ; Une notion qui perd de son sens en cet instant. Un vêtement tombe sur ses épaules, elle s’empresse de s’emmitoufler dedans afin de canaliser un début de chaleur. Alors qu’elle ne se sentait pas en mesure de se relever par ses propres moyens, le jeune inconnu l’aida à se remettre sur ses jambes faibles qui l’espace d’un instant s’affolèrent avant de se stabiliser progressivement.  

Ne pas penser au froid, qu’il dit. Cece hoche la tête sans grande conviction mais tente de s’exercer malgré tout à ce voyage spirituel pour ne plus ressentir ses membres engourdis par le froid. Mais rien n’y fait, elle est constamment rappeler à son état de réveil. Comme une piqûre de rappel qui l’oblige à ne jamais fuir la réalité. Et la panique recouvre à nouveau ses prunelles qui s’agitent à la recherche d’une échappatoire, d’une bouffée d’air frais et d’un rayon de soleil. Ses mains tremblent, elle amorce un début de recul  quand elle distingue un ténor de voix qu’elle saurait reconnaître parmi mille.

— Wade …

Tandis qu’elle avait peur, il vint. Et venant, sa peur diminua. Elle accueille silencieusement la couette épaisse qui atténue progressivement ses tremblements, et elle se sent revivre. Ses jambes cessent leur tenue incertaine, elle parvient à mieux stabiliser sa gestuelle. Soulagée de le voir, elle plisse les yeux avant de récupérer ses vêtements qu’elle enfile par-dessous en se cachant sous l’épaisse couverture. ; Une fois l’opération terminée, elle rend la veste au jeune homme. Elle entrouvre la bouche, mais elle n’arrive qu’à produire un son rauque et cassé :

— Merci.

Elle s’enroule un peu plus dans le vêtement réchauffant alors que son ami la questionne sur son état. Elle rassemble ses idées, et son état d’esprit avant de poursuivre, le souffle entrecoupé :

— J’ai soif, mal à la gorge et froid.

UNIS COMME LES DOIGTS DE LA MAIN

La réponse de Cece ne surprend pas Wade, les mêmes plaintes sont souvent émises à chaque fois qu'un nouvel éveillé se manifeste. Pour le froid, la couverture et la patience s'en chargeront. Il observe sa gestuelle, prend son pouls, vérifie que ses membres répondent correctement. Elle ne semble pas souffrir de graves séquelles à première vue, mais un examen plus approfondi sera nécessaire une fois qu'elle aura rejoint la surface.

— Tiens, bois ça.

Il fouille dans un sac en toile qu'il a emporté avec lui, et qui contient un minimum de matériel de soin nécessaire. Il en sort une gourde en cuir qu'il ouvre et la tend à Cece pour qu'elle puisse s'hydrater. La gourde contient de l'eau potable, dans laquelle il laisse infuser une herbe aux vertus apaisantes qui s'est déjà montrée très efficace à de nombreuses reprises. Le genre de truc qu'il aurait trouvé débile et sans intérêt, avant. Maintenant, il est contraint de se plier aux restrictions de cette nouvelle dimension du monde qui les surplombe.

Il lance un regard inexpressif à l'homme qui tire sa révérence après avoir récupéré sa veste, et son attention se reporte sur son amie qui semble maintenant réussir à garder l'équilibre sur ses deux jambes.

— Tu peux marcher ? Il faut sortir d'ici, le soleil te fera du bien.

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— Hm.

Cece râle tout en portant la gourde d’eau aux lèvres. Fidèle à son statut d’ami d’enfance, Wade l’a encore impunément surprotégé. Un jour, il finira vraiment par vexer quelqu’un, bien qu’il n’en rien à faire de cela. Elle lève les yeux au ciel, alors qu’elle boit en grand gorgée. Une fois repue de sa soif, elle observe l’intérieur de la gourde, infusée d’eau, avant de rendre le bien à son ami.

Elle le ressent. Oui, elle le ressent ce sentiment qu’on n’invente pas, qui grouille de la couronne de sa chevelure blonde jusqu’à l’extrémité de ses pieds. Ce malaise. Cette gêne qui la dérange pousse la petite blonde à resserrer un peu plus la couverture autour d’elle alors qu’elle se retrouve au centre d’un nuage néfaste. Vous ne connaissez pas ? L’orgueil masculin. ; Ce trait de caractère qui dresse les hommes comme des étalons et peut engendrer des situations bien cocasse.   Peu friand de ce genre de contexte, Cece ne peut que rester silencieuse lorsque le jeune homme décide de partir. Elle lui adresse malgré tout un signe de la main, un sourire d’excuse s’échoue doucement sur son visage alors qu’elle suit du regard la silhouette du jeune homme.

Tu peux marcher ? ; Cece reporte son attention sur Wade, la tête légèrement penchée sur le côté. Ses doigts prennent un chemin inhabituel, s’enroulent autour du biceps du jeune médecin. Ses yeux verts pétillent, elle resserre doucement son bras contre elle tout en posant sa tête contre son épaule.

—  Tu n’as pas le droit de protester, je suis malade moi ! feint-elle d’une voix triste alors qu’elle lève son regard vers son amie, une moue au visage.

Et comme pour répondre à sa question, elle amorce le premier pas en direction de la sortie. Ses membres engourdis lui arrache une grimace, mais elle ne tarde pas à faire le second pas. Elle a besoin de soleil comme il a dit, alors hors de question de rester une seconde de plus enfermée. Satisfaite de le retrouver et surtout de pouvoir l'emmerder à nouveau, Cece quitte cet endroit glauque au bras de son ami.